Quand Uber rêvait de Bernard Arnault et Xavier Niel en lobbyistes VIP


Les entrepreneurs Xavier Niel (à gauche), fondateur de Free, et Bernard Arnault, PDG de LVMH.

En ce 21 janvier 2015, Travis Kalanick est prêt à sortir le grand jeu. De passage à Paris, le patron américain d’Uber doit convaincre deux des grands fauves du capitalisme français d’investir dans son entreprise, qui n’est encore pour beaucoup qu’un curieux ovni à mi-chemin entre une société de transports et une start-up de la tech.

L’opération séduction démarre à midi à Apicius, un restaurant chic du 8e arrondissement de Paris, où l’a invité à déjeuner Xavier Niel, le fondateur de l’opérateur téléphonique Free, également actionnaire à titre individuel du Monde. Elle se poursuit quelques heures plus tard, de l’autre côté des Champs-Elysées, au siège de LVMH, où il rencontre Bernard Arnault, le patron tout-puissant du géant du luxe. A eux seuls, les deux Français pèsent plus de 35 milliards d’euros. Mais ce n’est pas leur fortune qui intéresse M. Kalanick : c’est leur influence politique.

Tel est le but affiché du « projet Cheetah », révélé par l’enquête « Uber Files », à laquelle Le Monde a participé avec différents médias partenaires, dont The Guardian. Ce tour de table à plusieurs centaines de millions de dollars, ouvert quelques mois plus tôt par la direction d’Uber, est destiné à recruter à travers le monde des « investisseurs stratégiques » dotés d’un poids suffisant pour défendre les méthodes cavalières du groupe américain face aux gouvernements récalcitrants.

« Nous souhaitons qu’ils nous aident, et les faire investir personnellement est une bonne façon de mettre leur peau en jeu. Nous n’avons pas vraiment besoin de leur argent, mais ils peuvent être des alliés utiles », résume Pierre-Dimitri Gore-Coty, le directeur général du groupe en Europe de l’Ouest, dans un courriel.

« Uber Files », une enquête internationale

« Uber Files » est une enquête reposant sur des milliers de documents internes à Uber adressés par une source anonyme au quotidien britannique The Guardian, et transmis au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et à 42 médias partenaires, dont Le Monde.

Courriels, présentations, comptes rendus de réunion… Ces 124 000 documents, datés de 2013 à 2017, offrent une plongée rare dans les arcanes d’une start-up qui cherchait alors à s’implanter dans les métropoles du monde entier malgré un contexte réglementaire défavorable. Ils détaillent la manière dont Uber a utilisé, en France comme ailleurs, toutes les ficelles du lobbying pour tenter de faire évoluer la loi à son avantage.

Les « Uber Files » révèlent aussi comment le groupe californien, déterminé à s’imposer par le fait accompli et, au besoin, en opérant dans l’illégalité, a mis en œuvre des pratiques jouant volontairement avec les limites de la loi, ou pouvant s’apparenter à de l’obstruction judiciaire face aux enquêtes dont il faisait l’objet.

Retrouvez tous nos articles de l’enquête « Uber Files »

Rôle d’ambassadeurs intermittents

L’entreprise souhaite reproduire l’exemple australien, où le soutien d’une richissime famille d’investisseurs « a joué un rôle-clé pour que nous obtenions une licence d’activité », comme le rappelle un autre dirigeant. Bien plus utile que « les investisseurs passifs qui promettent beaucoup mais ne font rien ».

Dans chaque pays à fort enjeu, les dirigeants d’Uber identifient des profils susceptibles de devenir leurs lobbyistes VIP : en Italie, l’ancien président du conseil Silvio Berlusconi ; en Espagne, les footballeurs Cristiano Ronaldo et Leo Messi ; en Russie, l’oligarque Roman Abramovitch. Côté français, Uber passe en revue plusieurs poids lourds du CAC 40, de Vincent Bolloré à François Pinault, en passant par les familles Dassault et Decaux. Leur préférence va toutefois à la première fortune tricolore, Bernard Arnault, jugé capable d’« influencer la situation réglementaire française » – sollicité par Le Monde, il n’a pas donné suite.

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Catégorie article Politique

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